Contre l’évaluation de la formation (1/2)

Qui n’est pas persuadé de l’importance de l’évaluation de la formation ? Il semble qu’il y ait peu de sujets qui reviennent aussi régulièrement sur le devant de la scène et rencontrent une si belle unanimité. À tel point que celui qui n’évaluerait pas ses formations ne ferait pas autre chose que jeter l’argent par les fenêtres.
Il y a bien longtemps, lorsqu’un procès se tenait devant le sanhédrin, une pratique pour le moins inattendue avait cours : si le coupable était condamné à l’unanimité, la halakha (la loi juive) voulait qu’il soit immédiatement acquitté. Autrement dit, sans une minorité de voies discordantes, toute unisson était jugée suspecte. N’en serait-il pas de même pour ce concert en faveur de l’évaluation de la formation ?

Une telle dépense d’énergie

InstitutriceDétaillons pour commencer ce qu’implique une démarche évaluative. Ses thuriféraires s’accordent à penser qu’elle est tellement importante qu’il faut y consacrer non pas 5, non pas 10 mais jusqu’à 50 % du budget d’une formation. Pourquoi un tel chiffre ? Si, pour faire simple, on se cantonne aux quatre niveaux de Kirkpatrick (d’autres modèles, moins répandus, existent), l’évaluation complète d’un parcours de formation implique, pour son commanditaire :
1)    La gestion de retours à chaud, autrement dit rédiger les questionnaires d’évaluation, le cas échéant les imprimer, les distribuer, éventuellement saisir les réponses, les analyser et les consolider dans un reporting…
2)    La rédaction de questionnaires post-formation pour s »assurer que les apports ont été compris, leur mise en forme, leur diffusion, leur analyse et leur agrégation dans un reporting…
3)    Un processus identique s’il s’agit d’estimer le transfert des compétences via un déclaratif de l’apprenant ou du manager, éventuellement la mise au point et le suivi d’indicateurs plus techniques (analyses de logs d’une application)…
4)    La définition et le suivi d’indicateurs métiers, centrés sur l’activité du collaborateur et donc déconnectés de la formation proprement dite (même si on suppose que celle-ci a eu un impact sur eux, sans bien savoir à quelle hauteur).
Concédons-le : quelle débauche de temps, de réflexions, d’échanges et d’énergie ! Que d’allers et retours entre les différents intervenants, du responsable formation au manager de terrain, du concepteur au graphiste, de l’apprenant à l’administrateur de la plateforme ! (et pour quelle utilisation ? abstenons-nous d’ouvrir cette boîte de Pandore-là)

Des travers cachés

Avant de se demander comment utiliser tant d’énergie plus efficacement, interrogeons-nous sur l’origine de cette pratique. Derrière la notion d’évaluation se profilent plusieurs volontés :
–    La première est liée au besoin de feedback de l’apprenant, un des piliers de l’apprentissage qu’il serait bien malvenu de remettre en cause
–    La deuxième est liée à l’appréciation de la formation dans une démarche d’amélioration continue
–    La troisième est liée au besoin de suivi, pilier cette fois du mode de management en vigueur dans la quasi-totalité de nos organisations
–    Enfin, d’autres intentions, plus éloignées de notre sujet, peuvent également y être rattachées : légitimer le budget formation, comparer les prestataires de formation entre eux, etc.
De ce que l’on conPunitionstate des politiques d’évaluation, c’est malheureusement la troisième option qui l’emporte haut la main. L’évaluation est là non pour guider le collaborateur dans sa progression mais pour s’assurer qu’il a correctement fait son travail (ou, pour le dire autrement, que l’argent investi ne l’a pas été en vain). Cela répond au principe du « commander et contrôler » dont l’ancienneté n’a d’égale que la rigidité. Là où la formation est censée offrir de la maîtrise, de l’autonomie voire de la liberté et de la créativité, l’évaluation rabaisse l’apprenant en estimant sa réussite à l’aune de critères figés – quand ce n’est pas de référentiels obsolètes.
Si l’on est convaincu que c’est en apprenant qu’une personne grandira et que c’est en favorisant l’apprenance qu’une organisation se développera, appliquer à la formation les recettes d’hier ne permettra jamais aux entreprises d’aujourd’hui de se préparer aux enjeux de demain.

Chercher l’adhésion

Si toute l’énergie dévolue à l’évaluation devait être reversée au profit d’une autre intention, quelle pourrait-elle bien être ? Prenons la question non par son origine mais par sa finalité. Pourquoi former ? Qu’est-ce que la formation doit favoriser ? Acceptons l’idée qu’elle soit un vecteur d’amélioration de la performance des collaborateurs – plus globalement de l’entreprise – et poursuivons : à quel moment est-on le plus performant ? Quelle est la caractéristique principale des activités que l’on réalise sans compter son temps, sans ménager sa peine, avec plaisir et succès ? C’est l’adhésion. Ce sont des activités que l’on croit justes, bonnes, pertinentes, des activités pour lesquelles on ressent un attachement profond. Car elles nous apportent des affects positifs. Car on a foi dans les valeurs qu’elles incarnent. Quand les gens s’investissent sincèrement, ardemment, ils le font avec la conviction de la nécessité. Affirmons-le : aucune évaluation ne favorisera jamais ce sentiment.

Une autre bataille

L’enjeu est là et nulle part ailleurs. Il s’agit, pour l’entreprise, de faire en sorte que ses collaborateurs estiment que les formations qu’ils suivent sont justes, pertinentes, essentielles. Elles doivent faire sens pour eux, par rapport à leurs besoins, leurs attentes mais aussi leurs valeurs (c’est au fond ici la question de la culture d’entreprise qui est en jeu).
Quel est aujourd’hui le temps consacré à faire sens lorsqu’on promeut un parcours de formation ? Il ne suffit pas d’un e-mail de lancement, d’une annonce sur le portail de formation ou d’une mention dans la newsletter hebdomadaire. Une même valeur peut être formulée par dix personnes de dix façons différentes – c’est d’ailleurs une de ses grandes forces. Il faut donc trouver dix moyens de propager et partager l’importance de la formation. Les uns seront sensibles aux arguments rationnels, les autres verront les bienfaits de l’action, certains écouteront leurs pairs, leur manager ou leur direction là où d’aucuns s’enflammeront pour des idées ou une vision nouvelle. Les canaux eux aussi doivent être variés : textes, images, animations, vidéos peuvent être mis à contribution.
L’adhésion est la première étape vers la motivation et l’engagement, moteurs de la performance. Au final, peu importe l’évaluation de la formation en elle-même, c’est l’impact sur les résultats de l’entreprise qui compte (le niveau 4 du modèle de Kirkpatrick, qui ne concerne pas à proprement parler la formation, conservant toute sa pertinence). Et cet impact ne sera jamais aussi grand que si le collaborateur y voit son intérêt.
Quand la bataille du sens est gagnée, celle de l’évaluation n’a plus lieu d’être.


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