Les quatre « problèmes » de l’engagement des collaborateurs

Si l’on se fie à Google Trends, l’intérêt pour l’engagement des collaborateurs a été multiplié par quinze entre 2004 et 2019. Rien qu’en 2020, plus de 1500 articles scientifiques ont été publiés sur le sujet. Les rapports de l’institut Gallup sur le monde du travail n’y ont sans doute pas été pour rien, eux qui situaient à un petit 12 % la proportion de collaborateurs « engagés » dans le monde en 2009 (niveau passé à 20 % dans leur dernier opus).
Et de fait, chaque entreprise, chaque établissement ne rêve que d’une chose : avoir des collaborateurs impliqués. Ce serait même pour certains rien de moins que le graal (et en effet, son impact sur la performance ne semble pas négligeable). Il n’empêche que la nouvelle problématique du télétravail ne simplifie pas cet enjeu. Et pour cause : développer l’engagement des collaborateurs est tout sauf évident pour quatre raisons au moins.


Préambule : un problème de sémantique


Lorsqu’on parle de « l’engagement des collaborateurs », on fait quasi systématiquement référence au terme anglais engagement que l’on francise sans scrupules. Audace hâtive dans la mesure où le mot existe déjà chez nous mais dans des acceptions différentes. Parmi celles qui nous intéressent, on notera :

  • Un rapport au – très ? – long terme : l’engagement, c’est celui des conjoints lors d’une union, d’une recrue dans l’armée ou (moins impliquant) d’un employeur vis-à-vis d’un candidat (et vice versa)
  • Un rapport au – très – court terme : c’est le fait d’entamer une action, tel l’escrimeur qui croise le fer avec son adversaire ou deux footballeurs dans le rond central lors du coup d’envoi d’une rencontre.

Alors que ces acceptions sont également en usage outre-Manche, l’idée que l’engagement renvoie aussi au fact of being involved with something n’est quant à lui pas présent dans notre langue. On lui préfère le terme d’« implication » (ou de « mobilisation » mais sa connotation militaire le rend plus délicat à manier).
Pour plus de commodité, j’emploierai indifféremment ici l’un ou l’autre. Il n’empêche, l’importance de la temporalité dans la définition du mot n’est pas sans conséquence, on le verra plus loin.

Problème 1 : l’engagement s’évalue de multiples façons


Des divergences autour de sa définition
Un(e) collaborateur(-trice) engagé(e) va s’impliquer physiquement, cognitivement et émotionnellement dans son travail, nous explique le professeur William Kahn, le premier à avoir étudié ce phénomène. Mais d’autres chercheurs voient l’engagement comme un surplus d’effort volontaire. Il ferait écho à de nombreuses notions telles que le comportement au sein d’une organisation, qui pourrait différer de celui vis-à-vis de sa fonction, la performance ou encore le flow cher au psychologue Csikszentmihalyi.
Des méthodes pluriels
Qui dit définition floue dit automatiquement mesure discutable. À en croire l’institut Gallup, par exemple, rares seraient les collaborateurs investis. Vraiment ? D’autres enquêtes pourtant évaluent à 62 % la proportion de collaborateurs impliqués. Tout dépend donc de ce que l’on sonde… et il semble bien que sonder l’engagement ne fasse pas appel à une méthode unique.
L’impact de la personnalité
Tout dépend également de la personne à qui l’on parle : conditionné par l’environnement de travail, l’engagement n’en reste pas moins en partie aussi lié à la personnalité de chacun – même si, des cinq traits du modèle Big Five de Lewis Goldberg, seule la conscienciosité semble y être très connectée.
Certes, une notion peut faire débat tout en étant très fertile (la notion de compétence en est la preuve) ; il n’en reste pas moins que le flou qui l’entoure brouille aussi les leviers pour l’activer.

Problème 2 : l’engagement est affecté par des considérations externes au travail

Dans la mesure où il touche simultanément aux plans cognitif, social et affectif, l’engagement ne se limite pas au seul environnement de travail. Une personne pourra cocher toutes les cases de l’implication sans jamais se donner à fond si, par ailleurs, elle subit des « désagréments » personnels plus ou moins perturbants : avez-vous jamais vu des collègues profondément affectés par un accident de la vie, la maladie d’un proche, un divorce en cours ou les difficultés scolaires de leur enfant ?
Le monde du travail n’étant pas une bulle hermétique, un programme visant à développer l’implication des collaborateurs ne pourra jamais prendre en compte les variables externes (personnelles) qui altèrent leur disponibilité (un des trois piliers de l’engagement selon William Kahn).

Problème 3 : l’engagement n’est pas une ressource comme les autres

L’ombre du taylorisme
Pourquoi cette question a-t-elle pris tant de place au fil des années aux yeux de nombreux dirigeants ? Dave Ulrich, un des auteurs phares en ressources humaines, hasarde une explication : « Les entreprises cherchant à produire toujours plus avec toujours moins de personnel, la contribution des collaborateurs est devenue un sujet crucial : elles n’ont d’autre choix que de les inciter à s’impliquer non seulement physiquement mais aussi intellectuellement et psychologiquement ».
Autrement dit, l’engagement des employés permettrait de compenser des restrictions constantes de moyens internes. Il en deviendrait, lui aussi, une ressource à part entière. Une ressource que l’on pourrait, comme toutes les autres, comptabiliser dans les capacités productives de l’entreprise.
On devine là une conception issue du taylorisme qui voit dans le salarié une machine que l’on pourrait sans mal faire fonctionner à plein régime. Or, « Traiter un homme en chose ou en pur système mécanique n’est pas moins, mais plus imaginaire que de voir en lui un hibou », souligne Cornelius Castoriadis. De fait, il n’y a aucune mécanique dans l’engagement qui pourrait l’activer à loisir.
Mesurer l’indénombrable
On y devine aussi un dépassement du même taylorisme : jadis, point besoin d’exiger des ouvriers plus d’engagement sur les lignes de production s’ils respectaient les cadences fixées par les contremaîtres ; aujourd’hui, les activités tertiaires étant plus hermétiques à une approche censément « scientifique », la mesure de l’engagement (comme le proposent des plateformes telles que Peakon ou Wittyfit) devient marqueur de la bonne attitude. On passe ainsi d’un contrôle des rythmes à une vigilance sur les comportements largement sujette à caution.

Problème 4 : l’engagement ne peut pas être constant

La règle de Foster
Quand bien même tous les voyants seraient au vert, est-il bien raisonnable de viser l’engagement permanent de tous ? Pensons aux marathoniens qui se tassent d’un centimètre et perdent jusqu’à un dixième de leur masse corporelle (en moyenne 1,5 litre de sueur par heure) lors d’une course. Chez ces coureurs, la règle de Foster est de rigueur : elle estime que tout mile couru nécessite une journée de récupération (un marathon en compte vingt-six). Vous ne pouvez donc être « à fond » qu’à condition d’avoir su monter en régime avant et vous reposer après.
Gérer les temps forts et faibles
Ce qui vaut pour les sportifs vaut également pour les collaborateurs d’une entreprise. Sur quels cycles se cale l’organisation ? Quels en sont les événements critiques ? À quels moments est-il plus pertinent de mettre les bouchées doubles ? Si, sur ces périodes-là, un regain d’implication est appréciable, tout le reste du temps, vous ne gagnerez qu’une chose à inciter vos collaborateurs à plus d’engagement : une moindre efficacité lorsque le temps sera venu de mettre un coup de collier – voire une plus grande lassitude et un risque de burn-out.

Envisager l’engagement, c’est améliorer le quotidien

Si vous ambitionnez de rehausser le niveau d’engagement de vos équipes, ce n’est donc paradoxalement pas sur l’engagement qu’il faut vous concentrer. Mais bien en priorité sur la qualité du travail quotidien.
« Il n’y a pas de bien-être sans bien faire », affirme Yves Clot. Vous assurer que vos collaborateurs peuvent accomplir « correctement » leurs missions habituelles apparaît alors comme la nécessaire préparation au regain d’implication que votre calendrier ne manquera pas d’exiger.
Parmi les conditions qui permettront de très vite accroître la cadence, on peut citer :

  • Mettre à disposition les ressources nécessaires à une réalisation satisfaisante des missions et tâches de chacun.
  • Formaliser des standards afin que vos collaborateurs s’étalonnent.
  • Les aider à évaluer eux-mêmes leur contribution pour qu’ils suivent leurs progrès.
  • Leur allouer des espaces de « liberté » où ils peuvent tester de nouvelles pratiques afin d’être prêts lorsqu’il le faudra.
  • Rappeler régulièrement le sens de leurs actions afin de garantir l’alignement de tous.
  • Cultiver la connaissance mutuelle du rôle de chacun pour renforcer le sentiment d’appartenance et la solidarité.
  • Mettre l’accent sur la notion de réussite d’équipe plus que de performance individuelle.

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